Sur scène : Monique Brun
Impressions Jo Delhomme
Photo Sandrine Lejean
Monique Brun - "Léo 38"
Merci Madame,
Dans un halo de lumière, seule dans votre robe noire vous nous avez fait le cadeau d’un Léo Ferré vivant, poétique et sensible.
Un sourire sardonique toujours au coin des lèvres il s’est animé grâce à vous. Nous avons découvert que Ferré avait été un enfant. Un Léo puisant dans cette enfance cette force de réaction, de distanciation qui le fit se draper malgré lui dans l’enveloppe de poète maudit. Il y était bien.
Que de générosité Madame dans ce que vous nous avez donné ! Un monde subtile et magique où les mots martèlent de sens nos réalités nous emmenant toujours plus loin.
Que de talent simplement et de cœur !
« Le bonheur se pique », dit-il. « piquez-le, on ne vous le donnera pas. »
Il avait juste tort sur un point : vous nous l’avez offert.
Merci à vous !
Respectueusement vôtre.
Jo Delhomme
Impressions Marie Botturi.
Monique Brun est une actrice d’abord, qui vient de loin, elle a fréquenté Daniel Mesguich, Georges Lavaudant, Philippe Adrien, Mehmet Ulusoy, pour ne citer que quelques noms. Chanteuse aussi, sa rencontre de Léo Ferré en différé en quelque sorte, l’a bouleversée.
« Léo 38 » est un spectacle particulièrement original dont la création remonte à l’année 2011. Plutôt que d’un spectacle, il faut parler d’un voyage que Monique Brun a organisé, qui s’appuie sur des entretiens divers de Léo Ferré dont certains relèvent de droits encore réservés, d’autres issus d’entretiens avec la presse, des textes sur des livrets… D’ailleurs, au début de ce voyage, elle nous le précise bien, appuyant sur les mots : « Tout est de Léo Ferré ».
Ce soir, elle est là, devant nous, présente, infiniment présente, sa présence c’est déjà le spectacle qui a commencé. Deux lampes halogènes au-dessus d’elle, un pupitre à sa gauche, des textes, des photos de Léo. C’est tout. Et elle commence, comme Ferré commencerait, se dit-on : «Mon nom c’est Ferré, avec deux « r », un accent aigu. On a compris, pas question de faire une faute. L’autre partie du décor se dessine, les mains de Monique brun, qui reposent sur ses genoux, se lèvent un peu, parfois, des mains en creux, avec l’index qui frotte à peine le pouce. Les mains de Léo, sa gestuelle, Léo est là, l’émotion, la sienne, la nôtre avec elle, plus encore si l’on a eu la chance de le voir sur scène. C’est lui, tout lui, avec Monique Brun, Monique Brun, c’est Léo. Il revit, il est avec nous. Ses mains ont tout installé, tout de suite, Monique aime Léo, terriblement, Léo l’unique. C’est une voix chaude, à peine rauque, ample, quelque chose de Colette Magny, dans le juste ton, des pointes de ferveur, de tristesse, selon… Pas d’éclats, mais la vie, oui, la Vie, par la sobriété. Comme la ferveur secrète d’un bel hiver. La vie qui va, les aventures, les questions, la vie où l’on parle de tout, en abondance, comme Léo. C’est Léo qui se confie, sans tabous, comme d’habitude, on a l’habitude avec Léo, et c’est ça qu’on aime. La messe, le temps où il était enfant de chœur, la cloche qu’il agitait, le football, puis tiens, la marraine, Léa qu’elle s’appelait, d’ailleurs c’est de là qu’est venue l’idée d’appeler le petit Ferré, Léo. Des pauses de respiration qui donnent à poursuivre le chemin des mots en silence. Ah ! on est loin des mots de verbiages continuels des télévisions, réseaux sociaux, opinions à n’en plus finir, et tout le toutim qui nous épuise. Là, les vannes sont toutes fermées… Tiens, justement, tout le monde parle trop, nous raconte/chante Monique Brun, je parle trop, enfin c’est Léo. C’est pour cela qu’il aime les chiens, les chiens ça ne parle pas, le silence ils connaissent, la tristesse, ils en sont conscients, ils ne la masquent pas.
C’est aussi un homme de grande culture que nous raconte Monique Brun Et puis voilà Toscanini qui l’a assis à côté de lui, et Ravel qui lui a souri, ça, on le savait ! Je crois aussi l’avoir lu, il y a bien longtemps, dans son magnifique récit, en partie autobiographique, Benoît misère, publié en 1970 aux Éditions Robert Laffont. Il y met en scène son enfance à Monaco ainsi qu’au pensionnat italien, et le douloureux passage à « l’âge d’homme ». Du pensionnat, il en est beaucoup question dans ce voyage, comme une brûlure sur la peau. Le jour où Léo y est entré, il était le 38°, voilà, ce fut son nom, Léo 38 ! Enfant asphyxié par les prêtres. Tout cela enrobé de son humour, un humour vif, un brun acide, qui tour à tour fait sourire, réfléchir. Au demeurant, il faut le dire, nous rions beaucoup aussi au cours de ce voyage, par la gouaille bien méditerranéenne de Léo, alliée aux modulations de la voix de Monique brun, la richesse du vocabulaire, les images inattendues, quel régal ! Le tout émaillé de ses joies, son mal de vivre, sa révolte d’écorché. Un moment de l’enfance qui revient, Léo a sept ans, déjà un homme, dit-il ! Avec une fille… Ce souvenir dans lequel il « s’étanche comme dans un champ de menthe ». Et puis, au moment où l’on ne s’y attend pas, voilà que s’élève un bout de chanson de Léo, qu’on ne connaît pas généralement, qui poursuit le récit, comme une évidence. Parfois, nous en reconnaissons une, comme L’été s’en fout, ou bien c’est Quartier latin, les souvenirs remontent : « Ce quartier/qui résonne/Dans ma tête/ Ce passé /Qui me sonne/Et me guette/ Ce boul’miche/qu’a la ligne/En automne (…) Cett’frangine/Qui vendait/Sa bohême (…) Et ce Spleen/Qui traînait/Dans sa traîne (…) Je r’trouv’plus rien/Tell’ment c’est loin/L’Quartier Latin ». Allez, c’est un coup de nostalgie pour nous, mais c’est bon, comme chante Léo, dans je ne sais plus quelle chanson. Des bouts de réflexion politique passent, et l’on sourit d’aise tant c’est dit/chanté sur un ton juste, sans qu’on s’y attende, mine de rien, par Monique Brun, enfin par Léo, ils sont pareils ces deux-là : « face à un an de Léon Blum, beaucoup de socialistes sont de la marmaille ».
Et le bonheur, qu’est-ce que c’est ? Un instant, juste un instant. C’est dire bonjour à trois nuages, un matin, quelque chose comme cela. Le bonheur, ça se pique, ça se prend, prends-le ! Elle vous dit ça, Monique, comme Léo, on l’entend, exactement comme lui, vous dis-je ! Et puis l’amour, ah ! l’amour. C’est difficile, c’est très triste et c’est beau. Le bonheur c’est donner. Et puis les poètes, les artistes, c’est maudit, comme tout ce qui est à la marge.
Puis voici Rimbaud qui arrive, du bonheur comme un bouquet de fleurs qu’on vous lance. Et la voix se fait douce, chuchotante au début, car Monique Brun parle et chante avec le silence, comme Léo, souvenons-nous, ses pauses entre les phrases, parfois entre les mots, comme une confidence pour chacun. On n’est pas sérieux quand on dix-sept ans. Je ne résiste pas à en susurrer ici quelques vers, malheureusement sans la voix de Léo/Monique « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans/ Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, /Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !/ On va sous les tilleuls verts de la promenade. /Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! /L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ; /Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin -/À des parfums de vigne et des parfums de bière… (…) Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser. /La sève est du champagne et vous monte à la tête… On divague ; on se sent aux lèvres un baiser /Qui palpite là, comme une petite bête… » Il faut au moins avoir appris cela à l’école…Monique et Léo font remonter notre mémoire, la mémoire comme la mer… Léo et sa quête de poésie, de musique.
Il semble qu’à la fin nous en sachions un peu plus de Léo, même si nous l’avons reconnu à chaque tournant de mots, de chansons, de phrases chantées en confidence, un chant parlé. Et pour la petite histoire, entre nous, mais vraie, et d’heureuse coïncidence, Léo a habité quelque temps à Cosne, au temps où il avait sa guenon, Léo qui pleure sa Pépee qui est morte : « T’avais les mains comm’des raquettes/Pépée/Et quand j’te faisais les ongles/j’voyais des fleurs dans ta barbiche/(…) T’avais les yeux comme des lucarnes/Pépée/(…) T’avais le cœur comme un tambour/Pépée ».
Nous sentons que cela va se terminer. Non, encore un peu Madame Brun, s’il vous plaît ! Nous aimerions refaire ce voyage si dense, l’entendre encore murmurer à notre oreille, comme une mer qui revient nous chercher. Ô merci ! c’est ce que le public lance dans la salle, sous la salve d’applaudissements qui ne veulent pas s’interrompre. Revenez nous faire vivre et chanter Léo, revenez l’année prochaine au Garage Théâtre, nous vous attendons déjà. Et en attendant justement, il y a cette phrase de Léo, qui traîne souvent dans ma tête, extraite de l’un de ses textes, « La technique de l’exil » : « Je ne crois en rien d’autre qu’à une certaine tristesse, dans un matin de brume ».
Allez, Léo, « Poète, vos papiers ! ».
Merci Madame Brun.
Allez, salut les artistes !