« Frontalier »
de Jean Portante
Conception et jeu : Jacques Bonnaffé
Mise en scène : Frank Hoffmann
Photo Gilles Raimbault, Patrice Vatan
Frontalier
Impressions Philippe Barailla
« Frontalier », c’est la soirée de clôture du festival 2023, un excellent millésime de spectacles variés animés d’artistes talentueux, toujours dans le cadre bucolique et l’atmosphère amicale de notre beau théâtre cosnois.
Jouée pour la première fois en 2021au théâtre national du Luxembourg, Frontalier est une pièce-monologue de Jean Portante, ici interprétée par Jacques Bonnaffé.
Le frontalier qui chaque jour traverse une frontière pour travailler connaît le problème :
une ligne imaginaire, invisible, court sur le sol à un endroit précis, souvent déterminée de façon aléatoire, et complique tout.
La Terre est à l’origine une étendue vierge de barrières, de grillages, de barbelés. Les hommes les ont créés pour se cliver en groupes ayant en commun quelques traits spécifiques : l’histoire, la race, le niveau de vie, la langue, la culture ; et pour se retrouver entre soi, notamment parce que les voisins sont à leur goût trop différents, souvent des ennemis, en tout cas pour limiter les occasions de les fréquenter.
Il faut quelquefois fabriquer la frontière de toutes pièces, quand ni la mer, ni la montagne, ni un fleuve ne la matérialisent : un mur par exemple, fait bien l’affaire, à la fois fortement symbolique et très efficace pour empêcher, séparer, cacher à la vue… pour accentuer la sensation que l’on est différent, forcément meilleur, plus riche ou au contraire plus malchanceux, plus malheureux.
« Mur, mer, mort »… une seule lettre change pour résumer en trois mot la conséquence la plus terrible de ces barrages : celui qui veut les franchir met sa vie en danger si les conditions de son intégration ne sont pas réunies.
Les plages se peuplent, mais pas de vacanciers ; les traversées ne sont pas des croisières d’agrément et visiter un pays étranger n’est accordé qu’aux survivants d’un terrible voyage.
Jacques Bonnaffé milite pour Navire Avenir, une association dont le but est de rassembler des fonds pour construire un navire spécifiquement adapté au sauvetage des migrants en haute mer, qui devrait être opérationnel en 2025.
https://navireavenir.info
https://navireavenir.info
Impressions Patrice Vatan
Il a fait du chemin Jacques Bonnaffé depuis Anthracite, de Édouard Niermans, que nous nous souvenons avoir vu en 79 au Gaumont-Les-Halles, où il débutait dans un petit rôle de môme tourmentant le père supérieur d’un collège dont la couleur de la soutane induisait le titre du film.
De houille point mais d’uranium plein, 44 ans plus tard dans Frontalier où nous retrouvons un Jacques Bonnaffé épaissi de centaines de rôles, conduisant une automobile fictive au-dessus de ce qui figurait la fosse de vidange de l’ex-garage Doubre devenu un théâtre d’avant-garde.
Direction la centrale de Cattenom.
Il incarne Jean Portante, il porte les mots de Jean Portante, un poète prosateur qui tricote dans une « langue étrange », le français, lui le descendant d’émigrés italiens au Luxembourg, l’errance d’un frontalier qui tous les jours passe la frontière pour se rendre à la centrale de Cattenom.
Une langue étrange qui sonne comme Hagondange, Hayange, Differdange, scansion phonique des mots qui rythment le labeur des frontaliers avant leur mort. Entre mot et mort erre une consonne essoufflante, le r, qui correspond à ce mot « erre », fait dire l’auteur à l’acteur.
Ce bouleversant Frontalier, Jacques Bonnaffé l’avait annoncé à sa façon tout en générosité, en « surprise du jardin » (sorte de lever de rideau rituel) sous les oripeaux du vagabond du métro délivrant du Jacques Darras, du Valérie Rouzeau aux voyageurs compréhensifs.
Coup d’œil confuso-repentant aux trois bouteilles de sancerre descendues dans la lumière de l’ultime soirée de cette magnifique 4e édition du Festival du Garage-Théâtre.