Le nain

De Pär Lagerkvist
Jeu : par Denis Lavant

Adaptation et mise en scène : Laurent Laffargue

Photos Philippe Barailla, Patrice Vatan et JYL
Captation vidéo Patrice Vatan

Le nain

Impressions Philippe Barailla
 
Le nain a longtemps été un personnage à part dans la mentalité des sociétés du Moyen-âge et de la Renaissance : sa difformité corporelle devient l’oeuvre redoutée du diable ou un cadeau miraculeux de dieu, c’est selon.
Denis Lavant incarne, dans l’adaptation à la scène du roman de Pär Lagerkvist, auteur suédois prix Nobel de littérature en 1951, un démon aussi malfaisant qu’il est petit, un concentré de méchanceté au mètre linéaire.
Il vit à la Cour d’un prince italien à l’identité floue et ne chôme pas ; il faut dire qu’il déteste tout le monde, sauf son maître. Il exècre les vieux, les jeunes et surtout les enfants dont les petites mains gluantes lui provoquent des hauts le cœur. Est-ce une armure, est-ce parce qu’il se croit incapable d’inspirer de l’amour, qu’il devient méprisant, médisant, cruel, sadique et assassin ? Son meilleur souvenir est le moment où son maître lui demande secrètement de verser du poison dans le vin de deux de ses convives lors d’un banquet « de réconciliation » avec son ennemi héréditaire…
Denis Lavant s’en donne à cœur joie, il incarne avec une jubilation non feinte ce gnome irrécupérable. Bondissant et tortueux, habillé de hardes, il exprime avec un talent impressionnant le désordre intérieur de son personnage, qui semble menacé par la folie mais reste en totale logique avec lui-même.
Impressions Patrice Vatan
 
Sale bête que ce nain. Pas question de « personne de petite taille » ou « personne avec un retard de croissance » comme la novlangue de ce siècle le nomme.
Son géniteur s’appelle Par… je ne sais jamais prononcer son nom, s’excuse Jean-Paul Wenzel en présentant hier le one man show qui a blindé le Garage Théâtre du sol au plafond.
« Pär Lagerkvist ! » lance-t-on depuis les gradins supérieurs.
Pär Lagerkvist, écrivain suédois mort en 1974 a écrit 30 ans plus tôt ce qui restera son texte le plus connu, Le Nain, fable énorme, grotesque, d’une violence rare sur la difformité, la haine, la méchanceté.
Son Nain n’est pas Joséphine ange gardien. Il est au service d’un prince de la Cour de Milan ou de Florence, ce n’est pas précisé. Moins bouffon qu’homme de main, il exécute les basses œuvres de son maître, ne rêve que de faire la guerre, tuer, étriper. Un truc le répugne, l’amour.
Atypique et hors-norme à l’image des personnages qu’il affectionne d’incarner, Denis Lavant grimpe la côte qui mène au théâtre. Il est attifé comme deux heures plus tard sur scène, feu de plancher, galurin de traviole, hérissé de sacs plastique. On le prend en voiture, surpris qu’on le reconnaisse.
Dire qu’il EST le Nain de Pär Lagerkvist est une évidence qu’on devrait pas énoncer.
De ce « work in progress » magistral, on retiendra la performance hors du commun d’un comédien qui, tout en lisant d’une main, se faufile de façon organique, oserait-on, dans les tripes du gnome horrible, investit du haut de son mètre soixante-deux la totalité de l’espace scénique, en aspire l’énergie jusqu’à nous laisser groggys, abasourdis, asphyxiés.