Printemps des écritures, 26 avril 2022, soir 2.
Invitée : Marie Ndiaye, lauréate du prix Femina en 2001 et du prix Goncourt en 2009.
Commentaire Philippe Barrailla,
Photo JYL.
Photo JYL.
Marie N'Diaye
Avis aux lecteurs : Marie Ndiaye prépare un nouveau roman, et son titre actuel, provisoire, est : « Bon Denis » (Marie choisira le titre définitif une fois l’écriture terminée) ; elle précise que malgré l’utilisation du « je », ce n’est pas une autobiographie. Les premières pages font l’objet de la lecture de ce soir.
La narratrice a une voix douce qui coule comme de l’eau, elle demande de l’attention car elle ne fait pas beaucoup de bruit mais, ce faisant, en dit plus qu’il ne semble. La forme est une belle langue, à la fois musicale et précise, oscillant entre sentiments retenus et évocations d’un réalisme cru.
Qui est ce « bon Denis », ce second père qui a avantageusement remplacé le vrai lorsqu’elle avait deux ans ? Pourquoi « bon » ? A-t-il accompli des prouesses exceptionnelles pour mériter ce qualificatif ? La seule personne qui pourrait lui répondre est sa mère, mais celle-ci, âgée, atteinte de démence sénile, ne se rappelle pas ces lointaines années – ou peut-être souhaite-t-elle garder ces souvenirs pour elle seule. Dans son cerveau diminué, difficile de connaître la limite entre l’omission consciente et l’oubli sincère.
L’héroïne interroge aussi son mari, qui a eu, un soir d’ivresse partagée, une vraie conversation avec sa belle-mère, mais là encore, le personnage, fragile et dépressif, ne peut rien lui apprendre.
La narratrice a l’idée de reproduire avec sa mère le déroulement se cette soirée de confidences et apporte une bouteille de champagne, comme un sérum de vérité, dans la chambre de l’ehpad où elle vit. Mauvais présage : les coupes de cristal qu’elle avait apportées ne sont plus de mise, les mains âgées ne peuvent plus tenir que des gobelets en plastique. Les révélations sont du même acabit : le bon Denis était « bon » parce qu’il était de gauche, et qu’il faisait bien la cuisine… ce n’était pas exactement l’évocation qu’elle attendait d’un homme que la mémoire collective avait quasiment canonisé.
Marie Ndiaye écrit en suivant le fil de ses pensées, sans établir de plan préalable, et de son propre aveu, à égalité avec ses lecteurs, elle ne sait pas à l’avance comment son roman finira… une façon de faire la route ensemble vers une destination inconnue.