Tout augmente

De et avec :
Jean-Paul Wenzel
Olivier Perrier
Jean-Louis Hourdin

Muriel Piquart, violoncelle
Cissou Winling, costumes

Photos Philippe Barailla, Patrice Vatan et JYL

Tout augmente

Impressions par Philippe Barailla

Pour la première fois, le théâtre de la rue des Frères Gambon jouait à guichet fermé, toutes les places ayant été réservées longtemps à l’avance pour le spectacle inaugural du festival 2023.
Les « Fédérés », association créée en 1979 par trois hommes de théâtre et amis, à savoir Jean-Louis Hourdin, Olivier Perrier et Jean-Paul Wenzel, renaît de ses cendres après vingt ans de relâche : ils unissent à nouveau leurs forces et leurs talents pour écrire et jouer une pièce inédite au sujet ambitieux : une histoire burlesque de l’humanité. « Tout augmente », mais surtout la richesse globale et son corollaire, une insoutenable inégalité. Dans une nature idyllique, ils racontent l’émergence de l’homme, être cupide et néfaste, depuis ses balbutiements pseudo-animaliers jusqu’à son auto-anéantissement annoncé. Le tout en dialoguant gentiment avec le violoncelle de Muriel Piquart.
La pièce parle de « pléonexie » (travers de celui qui en veut toujours plus pour lui, aux dépens de tous les autres). C’est le péché mignon de l’être humain standard, qui s’en prend d’abord aux bêtes, puis aux plus faibles, puis entretient sa domination par tous les moyens y compris les plus sordides. Le système capitaliste en prend un coup, Dieu aussi.
L’humour potache, les clowneries, les parodies accompagnés de déguisements farfelus s’enchaînent gaiement, on rit beaucoup jusqu’à ce qu’on se rende soudain compte que ce n’est plus drôle du tout. La scène du roi inca découronné et enveloppé, mourant, dans un linceul aux couleurs du drapeau espagnol, jette un froid. La « théorie du ruissellement » de Bernard de Mandeville au XVIIIe siècle, qui justifie toutes les exactions par le simple fait qu’elles favorisent la circulation des richesses dans l’ensemble de la société, est d’un cynisme achevé. Les trois acteurs n’ont de cesse de dénoncer l’absurdité de nos préoccupations, notre égoïsme, la futilité de nos centres d’intérêt face aux injustices, à la violence, à la misère, à la faim, au désastre écologique.
Mais tout cela, enrobé dans une succession de tableaux alternant sans préavis comédie débridée et soudaine gravité : le chaud et le froid sont soufflés, le message est passé.
Le talent des trois compères, complices et amis a littéralement transporté le public dans un spectacle, au-delà des apparences, pétillant de jeunesse. Entre deux éclats de rire, on pouvait entendre une petite chanson d’espoir : le monde doit changer, il peut changer : malgré tout, le pire n’est peut-être pas une fatalité.
 

Impressions par Patrice Vatan

Les moutons qui peinent à s’endormir ne comptent que sur eux-mêmes
Résumer « Tout augmente » en un post sur Facebook reviendrait à comprimer l’histoire de l’humanité au dos de la place de théâtre qui nous en a donné l’accès hier soir au Garage Théâtre.
Ouverture de son 4e Festival. Ambiance université d’été au jardin, atmosphère des grands soirs dans la salle comble, suscitée par les retrouvailles de trois copains qui vécurent une folle aventure durant 27 ans, les Rencontres de Hérisson. Ils se nomment Jean-Louis Hourdin, Olivier Perrier, Jean-Paul Wenzel.
Depuis l’apparition de la première amibe jusqu’à l’aliénation de trois vieux à leurs portables, Tout augmente brasse en un même mouvement, qui au cinéma s’apparenterait à un plan-séquence, l’essentiel de ce qui constitue notre histoire commune.
Farce grotesque qui attaque par le dialogue entre un jaguar et un condor au sujet d’un bébé trouvé dans la jungle, composition gonflée de Olivier Perrier à laquelle répondra dans une scène à suivre la demi-mise à nu de ce grand comédien qu’est Jean-Louis Hourdin, capable de tenir à distance de soi un corps de presque 80 balais pour l’offrir à la scène.
Ce feu d’artifice d’inventions est sous-tendu par un maître-mot tiré du grec, la pléonexie, ou le désir de posséder toujours plus.
Des images fortes l’étaient, comme le discours de Victor Hugo sur la misère, prononcé en 1849 à l’Assemblée nationale ; l’hallucinante compilation des faits ordinaires d’une journée ordinaire de la Terre, par exemple le 25 juin 2009, avec son défilé de destructions, de pertes du vivant, d’asservissements de toutes sortes mais dont le sens commun ne retient que la mort de Michael Jackson.
Tout augmente puise au coeur du maelstrom créateur commun à ces trois frères de théâtre, les Fédérés, qui, à côté de postulats essentiels, peuvent déplorer que les moutons qui peinent à s’endormir ne comptent que sur eux-mêmes.